Dépression du bébé, de l’enfant et de l’adolescent

I. Définitions et données générales de la dépression

DÉFINITIONS

Episode dépressif majeur (EDM): durée des symptômes d’au moins 2 semaines

Trouble dépressif récurrent: présence de 2 épisodes ou plus (alternance d’EDM et de phases de rémission)

Trouble dysthymique (adulte ++): présence de symptômes dépressifs pendant une période d’au moins 1 an, mais moins sévères que dans l’EDM

DONNÉES GÉNÉRALES

Dépression du bébé, de l’enfant et de l’adolescent longtemps niée

Actuellement objet d’un intérêt croissant

Difficultés diagnostiques liées aux définitions et outils d’évaluation

 

II. Dépression du bébé

Plus rare de nos jours

Carence affective ou carence en soins parentaux: insuffisance quantitative ou qualitative d’interactions entre l’enfant et le parent (ou autre référent prenant soin de lui)

Dépression = réponse émotionnelle déclenchée par des expériences de manque ou de perte d’un lien affectif privilégié (perte de l’objet aimé mais aussi perte de l’état affectif de bien-être qui lui est étroitement attaché)

LES PREMIÈRES DESCRIPTIONS

R. Spitz en 1946 “dépression anaclitique”

Confirmée par J. Bowlby en 1969 (3 phases: protestation, désespoir, détachement)

LA CLINIQUE

Des expressions comportementales

  • Phase de protestation bruyante avec pleurs
  • Puis inertie motrice: bébé ne bouge pas et ne répond pas aux sollicitations, moins de babillage
  • Changement de comportement chez le nourrison, avec désintérêt progressif pour la relation, pour les activités, pour les jeux, l’exploration est limitée

Des expressions somatiques

  • Anorexie, mérycisme
  • Insomnie
  • Arrêt de croissance

Le retard de développement psychomoteur et langagier survient après quelques semaines

ETIOLOGIE

Lors d’une séparation prolongée, en cas de douleur chronique du bébé, dépression maternelle, en cas de maladies congénitales ou si le couple parental est en souffrance.

EVOLUTION ET PRONOSTIC

Bonne récupération dans les cas où la souffrance affective est brève et isolée

Dans les autre cas

  • Appauvrissement intellectuel et linguistique, retards développementaux
  • Sentiment d’insécurité avec angoisses d’abandon, donnant lieu à des attitudes de revendication affective maladroite
  • Risque de répétition de la carence affective à la génération suivante
CONDUITE À TENIR ET PRÉVENTION

Prise en charge transdisciplinaire, soignant et médical

Prise en charge de la relation parent-enfant (et autre personne prenant soin de l’enfant)

Prévention

  • Aménagement de toutes les situations de séparation parent-enfant
  • Accompagnement psychologique spécialisé de l’enfant et de ses parents dans les situations à risque
  • Détection de la dépression parentale ou autre psychopathologie rendant le parent moins disponible aux besoins affectifs de son bébé

 

III. Dépression de l’enfant

1% avant l’âge de 6 ans

2-3% des 6 à 12 ans

Sexe: plus fréquente chez les garçon jusqu’à la puberté

CLINIQUE

Ralentissement psychomoteur, inhibition, enfant trop sage, indifférent ou bien agitation, crise de colère

Perte de l’estime de soi

Sentiment de perte d’amour

Évitement, refus de travail scolaire

Troubles somatiques: troubles de l’appétit, du sommeil, maux de ventre, céphalées..

Anxiété

Idées de mort ou de suicide

A RETENIR

Apparition progressive

Conjonction de signes

Permanence dans le temps (+ de 2 semaines)

Rupture nette du fonctionnement et du comportement

Enfant triste et/ou irritable-agressif

ETIOLOGIE 

Souvent circonstances de séparation ou de perte (deuil, séparation des parents, déménagement, éloignement d’un camarade, décès d’un animal domestique..)

Influences familiales

Maladie chronique de l’enfant

ÉVOLUTION ET PRONOSTIC

Risque suicidaire: 2/3 ont des idées suicidaires, 1 % des enfants déprimés font une TS

Troubles des conduites, antisociales, transgressives (fugues, vol..)

Désadaptation scolaire et sociale

Risque accru de dépression à l’adolescence

Conduites d’addiction à l’adolescence

 

IV. Dépression de l’adolescent

Problématiques de l’adolescence = séparation, rupture des liens, perte, fragilité narcissique, agressivité, ambivalence, fluctuation de l’humeur..

Prévalence: 5 à 10 %

Sexe ratio : 2 filles pour 1 garçon

Variabilité clinique de la symptomatologie dépressive à l’adolescence

CLINIQUE
  • Tristesse de l’humeur ou irritabilité
  • Douleur morale
  • Ralentissement psychomoteur
  • Inhibition intellectuelle, troubles de la concentration
  • Asthénie ou perte d’énergie
  • Désintérêt (aboulie) perte de plaisir (anhédonie)
  • Cognitions négatives, auto-dévalorisation, culpabilité
  • Troubles de l’appétit, du sommeil, céphalées, douleurs abdominales, dorsalgies
  • Idées suicidaires, risque de passage à l’acte suicidaire
FORMES CLINIQUES PARTICULIÈRES À L’ADOLESCENCE 

Signes psychotiques: mélancolie délirante (forme rare, délire de négation ou de fonctionnement d’organe)

Ralentissement psychomoteur peut être remplacé par la recherche de stimulation, hyperactivité, hypersexualité

Expression verbal de la colère et crises clastiques

Plaintes somatiques

Passages à l’acte, éventuellement répétés

ETIOLOGIE

Rôle déclenchant de certains événements de vie (décès, alcoolisme, sévices, désaccors conjugal des parents..)

Rôle protecteur si épisode dépressif lié à une rupture sentimentale, à un échec scolaire ou professionnel

Recherche d’antécédents familiaux

EVOLUTION ET PRONOSTIC

Risque suicidaire

Conséquences psycho-sociales

Troubles associés : anxieux, troubles des conduites / addictions

Risque de récidives : 95 % de rechute à l’âge adulte

Évolution vers une maladie maniaco-dépressive

Mode d’entrée dans la schizophrénie.

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE 

Valeur thérapeutique de la reconnaissance empathique de la dépression

Abord psychothérapeutique (individuel ou en groupe): prendre du recul par rapport aux émotions vécues

Recours à un dispositif institutionnel: l’hospitalisation

Guidance parentale ou thérapie familiale

Antidépresseurs (pas en première intention et toujours associés à une psychothérapie)

V. Suicide et conduites suicidaires

EPIDÉMIOLOGIE GÉNÉRALE ET DÉFINITIONS

Suicide: issue fatale d’un acte délibéré pour provoquer sa propre mort (patient suicidé)

  • 2e cause de décès des 15-24 ans (1 000 décès adolescents par an)
  • 3 hommes pour 1 femme
  • Pathologie psychiatrique dans 90% des cas
  • Moyens: pendaisons, armes à feu..

Tentative de suicide: échec d’un suicide (patient suicidant)

  • 80 000 par an (15-25 ans) / 3 femmes pour 1 homme
  • 1/3 des adolescents suicidants récidivent
  • Risque de suicide x 60 comparé à un ado n’ayant jamais fait de TS
  • Absorption orale médicamenteuse, phlébotomie

A ne pas confondre avec l’idéation suicidaire (très fréquente, 15-25% des adolescents) et les équivalents suicidaires (mise en péril de la vie de manière inconsciente)

CARACTÉRISTIQUES CHEZ L’ENFANT

Tentatives de suicides plus rares chez l’enfant < 12 ans

Sex ration égal à 1

Contexte familial souvent difficile

Vécu de honte ou d’épuisement

Désir de punition

Troubles mentaux sous-jacents

Nécessité d’hospitalisation

CARACTÉRISTIQUES CHEZ L’ADOLESCENT

Facteurs familiaux: familles séparées, perte précoce d’un parent, faible cohésion familiale, antécédents de troubles psychiatriques, abus sexuels

Facteurs sociaux: adolescents migrants dans des conditions difficiles

Facteurs individuels: problèmes de santé, maladies chroniques, comportements agressifs ou de délinquance, consommation de produits toxiques, échecs ou exclusion scolaires, sexe masculin..

Communication à autrui d’une intentionnalité suicidaire

Antécédents de tentative de suicide (personnel ou familiaux)

Abord psychopathologique

  • “Court-circuit” dans les possibilités d’élaboration psychique
  • Différents sens: fuite, deuil, châtiment, crime, vengeance..
  • Tentatives de suicides et suicide associés à une éthiologie psychiatrique (épisode dépressif majeur, schizophrénie ou troubles de la personnalité)
DEGRÉ D’INTETIONNALITÉ À ÉVALUER

Echelle de Beck

  • Circonstances objectives de la TS
  • Propos rapportés par le patient

 

VI. Passages à l’acte et pathologies de l’agir

Expression plus ou moins bruyantes d’une impulsivité ou de conflits intra-psychiques non mentalisables par le sujet

Pour que les troubles des conduites puissent entrer dans le champ de la psychiatrie et se démarquer des champs judiciaires, social ou éducatif, il est nécessaire de pouvoir différencier ce qui appartient

  • A un processus psychopathologique
  • A une évolution normale ou à un phénomène réactionnel

Ils correspondent à des conduites diverses correspondant à des déterminants psychopathologiques hétérogènes allant du mensonge de l’enfant de 4 ans au voyage pathologique d’un ado schizophrène

Point commun: ils s’inscrivent le plus souvent en rupture du groupe social dans une dimension de transgression ou d’opposition. Le groupe social peut être représenté par la famille. Ainsi certaines classifications distinguent des troubles des conduites “intra ou extra-familiaux”

LA FUGUE

47 000 fugues par an d’enfants de 13 à 17 ans

Départ volontaire, inattendu, sans prévenir et sans autorisation du lieu où l’enfant est censé être. L’absence est de durée suffisante.

L’enfant fugue beaucoup plus rarement que l’adolescent, la fugue est de durée brève

Les adolescents peuvent faire des fugues prolongées et évitent de signaler leur présence

Contexte psychopathologique de la fugue

  • La fugue comme comportement d’évitement
  • La fugue de l’école comme refus scolaire
  • La fugue de l’enfant psychotique ou déficitaire
  • Le voyage pathologique
  • La fugue dans un contexte d’épilepsie (en cas de rupture de contact avec la réalité)
  • La fugue hystérique

Conduite pratique de l’IDE dans un contexte de fugue

  • Prévenir les parents
  • Prévenir l’autorité éducative en cas de fugue d’une institution
  • Prévenir les autorités administratives de l’hôpital et déclarer la fugue
  • Faire un signalement à la police
  • Eviter de se substituer aux instances judiciaires et de porter un jugement moral ou une sanction d’emblée
  • Favoriser les conditions du dialogue au retour de la fugue
  • Inventaire au retour de fugue
  • Aider les parents ou l’institution à comprendre quel est le contexte de la fugue
  • Réflechir à un cadre pour éviter les récidives
LE VOL

Délit le plus fréquent qui touche davantage les garçons que les filles. Sa fréquence augmente avec l’âge.

Préalables: l’enfant doit avoir acquis la notion de propriété et avoir intériorisé l’interdit

Contexte en fonction de l’âge

  • Chez le petit enfant, la personne visée est la mère, le père ou la fratrie. Il existe peu de culpabilité et c’est en partie la réaction de l’entourage qui va conditionner la notion d’interdit.
  • A l’âge scolaire, les vols peuvent s’étendre aux amis de la famille, aux voisins, au milieu scolaire
  • Avec l’adolescence et la pré-adolescence, apparaissent les larcins dans les lieux publics et les conduites délinquantielles

Contexte psychopathologique

  • Vols et carences affectives
  • Vols et tentative d’affirmation de soi
  • Vols et tendance psychopathique, manque de remords

Conduite et pratique de l’IDE dans un contexte de vol

  • Replacer le vol dans son contexte
  • Eviter la rigidité et la dramatisation excessive dans le cas d’un vol d’un enfant en bas âge ou dans un contexte névrotique
  • Eviter la tolérance et la banalisation excessive pour les enfants et les adolescents ayant un manque d’intériorisation des interdits
  • Travailler en collaboration avec les parents. Ne pas se substituer mais accompagner et guider
LES CONDUITES AGRESSIVES

Chez l’enfant: manifestations agressives développementales banales

  • Grand nourrisson: frustration, réaction de colère ou de rage clairement orientée vers l’adulte
  • 2-3 ans: phase d’opposition active, apparition des caprices
  • Age scolaire: agressivité avec ses pairs sous forme d’échange verbaux ou bagarres mais progressivement il pourra avoir recours aux jeux..

Chez l’enfant: conduites agressives pathologiques

  • Insultes, crises clastisques avec bris d’objets ou plus rarement agression sur des personnes déclenchées par des frustrations ou des contraintes
  • Rôles de l’intolérance à la frustration et des interactions familiales

Chez l’adolescent: la violence contre les biens

  • Souvent jeunes adolescents
  • Parfois le seul moyen que trouve l’adolescent pour lutter contre son sentiment d’emprise du monde externe sur lui-même
  • Risque de récidive dépend largement de l’attitude de l’entourage et de la qualité des interactions familiales

Chez l’adolescent: les violences contre les personnes

  • Les violences intra-familiales
  • Les violences extra-familiales (bagarres, mécanismes d’emprise sur les plus jeunes, conduites meurtrières..)

Actions en fonction des personnalités

  • Fonctionnement névrotique: donner la priorité à la discussion (culpabilité)
  • Fonctionnement borderline: donner la priorité aux règles en faisant intervenir les instances soignantes et éducatives pour “cadrer” l’adolescent tout en lui laissant une certaine autonomie
  • Fonctionnement psychotique: donner la priorité à la contention chimique (médication psychotrope) voire physique, au cours d’une hospitalisation avec isolement en cas d’état aigu
  • Fonctionnement psychopathique: donner la priorité à la sanction éducative et aux voies répressives

Les conduites agressives dépendent de l’âge et du contexte psychopathologique

L’objectif est une réponse contenante et cohérente de l’adulte

L’isolement, la prescription et la contention physique sont nécessaires dans certains cas mais doivent être discutés au préalables en équipe


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