Madame F, 91 ans est une patiente qui, jusqu’à la survenue d’un accident comme piéton sur la voie publique, vivait seule à domicile dans le 15e arrondissement de Paris. Ancienne responsable de la Croix Rouge, Madame F est veuve depuis 10 ans, elle a deux enfants, un fils qui vit et travaille dans le sud-ouest et une fille qui habite et travaille en banlieue parisienne (à 1 heure de transport de chez sa mère).
Madame F se fait renverser début avril par un scooter sur le passage piéton, avec fracture du col du fémur, nécessitant la mise en place d’une prothèse totale de hanche. Elle est prise en charge en chirurgie, en urgence, dans un hôpital parisien.
La famille, très présente, explique à l’équipe de chirurgie que Madame F fait ses courses seule dans son quartier. Elle a une femme de ménage qui vient deux fois par semaine. Elle est indépendante pour la toilette, l’alimentation et l’habillage. Elle aime la lecture qu’elle pratique tous les jours et le scrabble auquel elle joue de temps à autre avec des ami(e)s ou sa famille. Elle reçoit sa famille régulièrement. Cependant elle a eu des épisodes de désorientation temporo-spatiale et de fausses reconnaissances (3 durant les 12 derniers mois). Elle a bénéficié d’un bilan neurologique et cardiologique qui a conclu à des éléments évocateurs d’accidents ischémiques transitoires et d’un terrain à surveiller pouvant faire craindre l’installation d’une démence d’origine vasculaire. Elle a été mise sous anticoagulant par voie orale (antiagrégant plaquettaire). Sa tension artérielle est normale et elle ne prend aucun autre traitement. Elle ne présente aucun autre antécédent, ni facteur de risque.
Lors de l’hospitalisation, d’un point de vue orthopédique, Madame F présente des suites normales. Cependant, elle fait deux épisodes de désorientation temporo spatiale. Le 1er de 4 jours à l’issue de l’intervention avec retour à la normale et le second, 8 jours plus tard, de 2 jours avec également retour à la normale. Un scanner est réalisé et confirme les diagnostics antérieurs : « lésions en faveur d’accidents ischémiques diffuses ». Le doppler des vaisseaux du cou montre quelques plaques athéromateuses, « classiques pour l’âge », au niveau carotidien. L’échographie cardiaque est normale.
La patiente est orientée fin avril vers un service de soins de suites et de réadaptation (proche de son domicile) pour rééducation à la marche (kinésithérapie + piscine).
Au bout de 8 jours, on note une dégradation psychologique forte avec installation d’une note dépressive. Elle expose aux infirmières et au médecin qui la suivent, qu’elle souhaiterait retourner à domicile et qu’elle n’a pas choisi de venir dans ce centre. Elle ne met pas en cause la qualité du centre, la compétence, ni la gentillesse des personnes, mais elle dit ne pas aimer ce cadre, et être entourée de personnes grabataires et démentes, avec de plus une voisine de chambre qui ne dort pas la nuit, parle et parfois crie. Elle aurait aimé qu’on lui en parle avant son transfert et qu’on lui expose les conditions de son séjour.
Cinq jours plus tard, elle refuse de s’alimenter. Elle n’accepte la prise d’aliment que si c’est sa fille qui vient, c’est à dire une seule fois par jour avec un repas qui est alors complet (la fille ne pouvant venir qu’une seule fois car travaillant et habitant à 1 heure de transport). Elle accepte par ailleurs la toilette, la rééducation et le seul traitement qu’elle a (une injection S/C d’héparine de bas poids moléculaire par jour à visée préventive).
Pendant les mois de mai et juin, la patiente se dégrade et perd du poids. Elle refuse toujours d’autre mode d’alimentation que le repas unique du soir et elle ne veut plus boire dans la journée. Elle réitère sa demande de retour à domicile.
Mi-juillet, face à un état de déshydratation, les médecins proposent une perfusion pour l’hydrater, qu’elle refuse. Elle ré-exprime son désir de retour à domicile.
Le 1er août au matin, l’aide-soignante trouve la patiente somnolente, désorientée et confuse. Un scanner est à nouveau réalisé. Il est sans changement par rapport aux clichés précédents. L’examen neurologique ne montre pas d’autres déficits. Sa tension artérielle est stable entre 120/60mmHg et 110/50mmHg. Elle est totalement dépendante, alitée, la rééducation est suspendue. Elle ne peut plus s’alimenter, ni s’hydrater. Un bilan biologique objective une insuffisance rénale débutante, elle est perfusée et mise sous diurétique. Elle arrache sa perfusion.
L’équipe soignante se réunit pour discuter de sa situation et de l’orientation des soins. A signaler qu’aucune mention de personne de confiance n’existe dans le dossier.
Analysez cette situation clinique en répondant aux questions suivantes :
Question 1 Identifiez les personnes concernées par la situation clinique. (1,25 pt)
Question 2 A partir des éléments du texte, identifiez et analysez les éléments significatifs pour chacune de ces personnes. (6 pts)
Question 3 Citez les éléments en tension et/ou bloquants à prendre en compte dans cette situation clinique. (1 pt)
Question 4 Concernant la situation clinique :
a. Identifiez et expliquez les concepts (philosophiques et/ou moraux et/ou juridiques et/ou déontologiques, cf Code de déontologie des infirmiers) à prendre en compte dans le processus d’analyse de cette situation clinique. (7,25 pts)
b. Expliquez-la ou les propositions qui pourraient être envisagées et argumentez pour chacune d’elle leur pertinence. (2,25 pts)
Question 5 Identifiez et argumentez 2 critères de l’Ethique de la discussion qui illustrent le fonctionnement de votre groupe. (1 pt)
Question 6 Présentation du travail. (Orthographe, syntaxe, vocabulaire professionnel : 0,5 pt) (Bibliographie, sources documentaires : 0,75 pt).
Question 1
La patiente (0,25 pt)
La fille (0,25 pt), le fils (0,25 pt)
L’équipe soignante (infirmière, aide-soignante, médecin) (0,5 pt)
Question 2
1. La patiente :
91 ans, retraitée, occupait un poste à responsabilités, veuve
Avant l’hospitalisation :
Habite seule, est indépendante (gestes de la vie quotidienne : alimentation, courses, habillage). Autonome. Capable de faire des choix, de décider pour elle-même.
Contexte social : non isolée, vie relationnelle, amis, femme de ménage, enfants (reçoit sa famille, joue au Scrabble) : aime la vie, aime le contact, sociable.
Depuis l’hospitalisation :
Contexte médical : opérée PTH, suites simples. En SSR, épisodes résolutifs de désorientation temporo-spatiale et prosopagnosie liées à des AIT. Note dépressive au bout de 8 jours. N’accepte de manger qu’avec sa fille (une fois par jour) et refuse perfusion pour l’hydrater. Elle souhaite rentrer chez elle.
Refus de la vie en collectivité : peur de la dégradation physique ? Ne supporte pas d’être entourée de personnes grabataires et démentes : renvoi à son propre vieillissement ? Demande d’intimité et d’espace de vie privée, difficile à mettre en place en collectivité. Expression de la personne (exprime le souhait de retour à domicile à plusieurs reprises).
Notion de bonne santé et de bien-être :
– Passant par l’alimentation : instaure un mode de défense : “grève” de la faim (symbolique de la nourriture comme source de “bonne santé”, voire de bien-être) et refuse de boire.
– Réf OMS définition de la santé “bien-être physique, psychique et social” + réf cours anthropologie
Ce jour, non autonome (confuse, somnolente, désorientée) et très dépendante, ne peut plus s’alimenter et s’hydrater. Arrache sa perfusion. Insuffisance rénale débutante. Sous diurétique. Dénutrie et déshydratée. Pas de personne de confiance désignée dans le dossier (3 pts)
2. La fille :
Attachée à la valeur famille : famille présente (accueil, Scrabble)
Implication des proches dans la décision : la fille ne semble pas intervenir dans les décisions, ne semble pas avoir été impliquée ; lui a-t-on proposé d’intervenir dans l’orientation de sa mère ou d’être personne de confiance ? Ne défend pas la volonté de sa mère de ne pas être en SSR. Peut-être que la fille s’en remet à une position d’autorité fondée sur le savoir médical. La fille se plie à la contrainte imposée par sa mère (repas) : quelle relation mère fille : la mère impose à la fille de venir tous les jours ? Marque d’un reproche de la mère vis à vis de sa fille qui ne serait intervenue pour éviter le SSR ? Sentiment de culpabilité ? très présente, proche de sa mère mais habite à 1h de trajet (1,25 pt)
Le fils n’est pas présent, habite dans le sud ouest. Positionnement du fils / écoute : avis de celui-ci concernant le devenir de sa mère ? (0,25 pt)
3. L’équipe soignante :
SSR, plusieurs personnes impliquées (IDE, médecins, kinésithérapeutes, AS) : ils sont face à une situation qui se dégrade de mois en mois et en lien avec des refus successifs de soins.
Prise en compte de ses souhaits depuis son arrivée ?
Recherche de compréhension des raisons de ce refus ?
Y a-t-il eu négociation pour la convaincre d’accepter les soins ?
Qu’en est-il de la communication ? L’information ? avec la patiente ? avec la fille ? (1,5 pts)
Question 3
Ce jour, elle est non autonome.
On ne peut plus la questionner quant à son souhait pour son projet de santé.
Questionnement sur le devenir de la patiente.
Question 4
a). Notion de collégialité : modalités de discussion en équipe : obligation de collégialité (ne pas décider seul, prise de parole équitable, refuser les positions d’autorité d’un tel ou d’une telle), médecins, IDE, aides-soignantes.
Demande d’un avis médical extérieur à la prise en charge.
Participation des proches à la discussion (0,5 pt)
Obligation d’associer les proches à la décision (fille et fils) même si pas de personne de confiance désignée. Avis consultatif, qui ne s’impose pas à l’équipe médicale (0,5 pt)
Principes de l’éthique de la discussion :
Soit consensus (tout le monde est d’accord)
Soit assentiment ou compromis de certains (certains ne savent pas ou ne veulent pas se positionner mais laissent le choix à la majorité)
Soit désaccord fort de certains, donc deux possibilités, passage en force de certain (violence au sein de l’équipe) ou remise en discussion quelques jours plus tard (0,5 pt)
Devoir d’information et consentement / respect de l’autonomie du patient
Cette démarche n’a pas été prise en compte dans la situation clinique, la patiente n’a pas été entendue alors qu’elle s’est exprimée auprès des médecins et IDE.
Obligation morale et médico-légale :
3 : “l’information donnée au patient doit être accessible et loyale”
+ information : loi du 04/03/2002 art L1111-2
+ consentement art L1111=4
Code de déontologie IDE : cf Art R4312-13 et Art R4312-14 de la profession infirmière et Art R4312-10: “agir dans l’intérêt du patient”
Notion de bénéfices/risques pour la patiente
Reconnaître à la personne sa capacité à décider même s’il existe des risques (notion de choix pour la conduite de sa vie)
A ce jour : confuse, somnolente : non autonome. Hors d’état d’exprimer sa volonté.
Pas de personne de confiance ni de directives anticipées. Consulter la famille.
Art R4312-14 : “si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté (…) famille ou à défaut un de ses proches aient été consulté”
L 1111-6 : patient qui ne peut s’exprimer et personne de confiance (2 pts)
Les équipes soignantes ont fait preuve d’un automatisme décisionnel (elles ont donné la priorité à un mode de fonctionnement habituel, standard) ne prenant pas suffisamment en compte la volonté de la patiente. L’habitude fait que l’on adresse toujours en SSR, mais parfois sans s’adapter au réel besoin et demande de la personne / par rapport à un dialogue, discussion et écoute de la patiente avec une prise en charge plus personnalisée et le fait d’envisager d’autres solutions possibles.
Savoir que la mise en place de procédures ou de parcours types pour les patients est nécessaire, mais qu’il faut toujours savoir en sortir ou les adapter en fonction de l’individu.
Toujours penser à l’individu, à la personne même dans le cadre d’une règle ou d’une pratique collective : savoir personnaliser le soin.
Attention à ne pas envisager la solution la plus simple pour les soignants. Ici c’est l’hospitalisation en SSR. Le retour à domicile demandant une organisation plus complexe avec une coordination entre les différents professionnels de santé et la famille/proche/entourage et une nécessite d’identifier les ressources de la personne (sociales, économiques). Discuter la question de la norme, de la normativité, par rapport à la singularité (0,75 pt).
Négation de la démarche d’information et de consentement / Négation de l’autonomie
On a mis en avant une logique de bienfaisance médicale (les médecins pensaient bien faire), mais qui va à l’encontre de la liberté de la personne (donc dérive paternaliste) (0,25 pt)
Discuter le fait de savoir si on ne serait pas dans la malfaisance : non respect de la dignité de la personne ?
Est-on dans une démarche de qualité des soins ?
– Pas d’écoute de la patiente, pas de mise en oeuvre d’actes ou de moyens alternatifs au SSR (maintien à domicile avec aides, téléalarme, rééducation en ambulatoire avec organisation de transport domicile centre de rééducation)
– Article R 4311-2 des règles professionnelles IDE : “qualité techniques et qualités des relations”. “Favoriser leur maintien, leur insertion ou leur réinsertion dans leur cadre de vie familiale ou sociale”
Loi du 4 mars 2002 : obligation de moyens : ici obligation de mobiliser les compétences et travailler en réseau interprofessionnel pour favoriser le maintien à domicile (1,25 pts)
Non-discrimination : art R4312-11 due à l’âge ? (Personne âgée devrait être associée à la décision, comme une personne jeune : préjugé de l’équipe soignante sous entendu “ne peut retourner après PTH, à domicile”)
Représentation sociétale : cf cours “éthique et gériatrie”
Non considérée comme une personne apte à choisir, d’emblée stigmatisée comme incompétence concernant un retour à domicile ; aurait-on considéré la personne de la même manière si elle avait été plus jeune donc discuter discrimination liée à l’âge (0,5 pt)
Notion de bienfaisance
L’équipe a pu faire le choix de ne pas considérer l’autonomie de la patiente, au nom de la bienfaisance (penser agir au nom de l’autre, parce que l’action est pensée comme bonne), mais ceci comporte le risque de dérive : le paternalisme.
L’équipe a pu aussi agir au nom du concept de sécurité (prudence) : antécédents d’AIT, très âgée (peut retomber)
Cours sur les références philosophiques de l’éthique selon Childress et Beauchamp (autonomie, bienfaisance, non malfaisance) (0,5 pt)
Au final situation très complexe.
Décision autour de la poursuite des soins : nécessité d’une contention ? Afin d’éviter que la patiente arrache sa perfusion.
Discussion autour de la continuité des soins, les soignants pourraient espérer que l’état de santé de la personne peut s’améliorer, revenir à la normale ? Mais peu d’espoir de récupération.
Patient âgée, à ce jour et très vulnérable (syndrome de glissement), d’un point de vue de sa santé (dénutrition, déshydratée, confuse, altération de la fonction rénale).
Risques nombreux (altération cutanée, risque infectieux, incapacité à retrouver son état antérieur) (0,5 pt)
b) Propositions : si pas d’amélioration, la patiente entre dans le cadre d’une prise en charge palliative (cf loi de février 2016 dite Léonetti-Claeys). Mise en oeuvre de soins actifs : de confort, de soulagement de la douleur …
Pas d’abandon thérapeutique mais pas d’obstination déraisonnable (c’est une possibilité car les soignants sont responsables collectivement de la situation dans laquelle se trouve la patiente (manque de transmissions ? de concertation, de projet de soins personnalisé ?))
Obstination déraisonnable = situation où l’intervention médicale n’apportera pas de bénéfice à la patiente (notion d’inutilité) avec de plus une possibilité de souffrance et/ou de complications. Balance bénéfice/risque en négatif.
Si récupération de la fonction rénale et de l’état de santé de la patiente :
Discussion autour d’un retour à domicile (respect des volontés de Mme F, notion du respect la dignité)
Nous savons ce qu’elle souhaitait avant qu’elle soit confuse et somnolente
Des moyens existent pour satisfaire sa volonté, à mettre en oeuvre par l’équipe, avec le soutien de la famille ? Projet qui ne peut se faire que si soutien de la famille.
Question 5
0,25 pt par critère retenu (x2)
+ 0,25 pt (qualité de l’argumentation d’un critère de fonctionnement du groupe de travail) (x2)
2 critères parmi 8 donnés en cours :
– Symétrie des participants (égalité de la parole de chacun : refus des positions de pouvoir et d’autorité)
– Sincérité des arguments
– Écoute réciproque
– Attitude de responsabilité (ne pas faire ce que l’on refuserait pour soi-même)
– Liberté d’adhérer ou non aux arguments discutés
– Aucune contrainte extérieure possible
– Volonté de construire une argumentation et de rechercher des pistes de décisions
– Le consensus doit être recherché : il ne doit pas être obligatoire ou être atteint à tout prix (cela fausserait le déroulement des débats) / des compromis sont possibles
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