Sujet

Monsieur Raspail Antoine, âgé de 79 ans est atteint d’une insuffisance rénale chronique terminale traitée par hémodialyse depuis 6 ans.

Veuf, père de deux enfants âgés de 45 et 50 ans, il vit seul chez lui depuis le décès de son épouse trois ans auparavant. Il se rend en ambulance trois fois par semaine dans son centre de dialyse. Il exprime à l’équipe de néphrologie depuis plusieurs mois son désir de “tout arrêter” et “d’en finir”. Il explique que les tâches quotidiennes lui sont pénibles depuis le décès de son épouse, qu’il ne sort plus et qu’il a abandonné le club de bridge.

A la suite d’une chute accidentelle de sa hauteur responsable d’une fracture du poignet droit, il est hospitalisé dans le service de néphrologie où il est habituellement suivi avec une prise en charge orthopédique. A chaque visite du médecin, de l’infirmière ou de l’aide-soignante, il exprime de façon simple, claire et insistante son désir de mourir. Il demande d’ailleurs de façon persistante une aide pour mourir.

Il ne reçoit pas de visite de ses enfants, qui habitent à plusieurs centaines de kilomètres. Sans être brouillés, ils se voient très peu depuis le décès de Mme Raspail. Leurs contacts téléphoniques sont peu nombreux. Chacun vit sa vie de son côté. Mr Raspail est très fier de la réussite sociale de ses enfants. Seul un de ses voisins lui rend visite.

Il n’a pas désigné de personne de confiance et ne voit pas qui pourrait tenir ce rôle pour lui et ne souhaite pas rédiger de directives anticipées car il est lucide et demande en toute conscience de mourir. Il ne supporte plus les dialyses qui l’épuisent et dont il ne voit pas l’intérêt en l’absence de projet de vie. Il a le sentiment d’avoir vécu ce qu’il avait à vivre et de l’avoir bien vécu. Il souffre physiquement de façon chronique malgré la prise en charge spécialisée (arthrose sévère) rendant très difficile le maintien de la position allongée pendant les séances de dialyses. Il n’a aucun projet car son état de santé l’empêche d’en concevoir, surtout depuis qu’il a tendance à perdre la mémoire. Malgré ses convictions religieuses (il est croyant et pratiquant), il veut mourir et demande avec insistance et conviction qu’on l’aide pour cela car il considère sa vie comme indigne.

Trois semaines après le début de l’hospitalisation, Mr Raspail devient agressif avec l’équipe soignante, essaie de se débrancher de la machine de dialyse, il ne reconnait pas l’infirmière qu’il accuse de vouloir le tuer. Il développe ensuite progressivement en quelques heures des troubles de la conscience. Le médecin prescrit un scanner cérébral en urgence. L’infirmière qui s’occupait de Mr Raspail pendant la dialyse ne comprend pas pourquoi ce scanner serait réalisé, compte tenu du souhait du patient de mourir. Sa collègue de salle est d’accord avec elle.

Une étudiante infirmière de 1ère année comprend la démarche, compte tenu de la dégradation rapide de l’état de conscience, et dit tout bas qu’elle est contre l’euthanasie. Un aide-soignant qui l’entend lui rétorque qu’elle n’a rien compris à la vie et qu’il serait temps de la légaliser. La famille est prévenue de l’aggravation par le médecin mais ils ne pourront pas se déplacer tout de suite et laissent la consigne de ne pas s’acharner.

Le résultat du scanner montre un hématome sous dural chronique avec des signes de saignement récent. Il existe une indication d’évacuation neurochirurgicale. Les avis dans le service sont partagés et passionnés. La cadre de santé du service demande au médecin de mettre en place une procédure collégiale pour décider d’une limitation des soins.

Le médecin accepte mais décide que la réunion collégiale n’aura lieu qu’au retour de l’intervention neurochirurgicale. L’équipe de soin est particulièrement mal à l’aise suite à cette décision. Trois avis se dessinent, les professionnels qui considèrent que cette décision est inacceptable et que chacun a le droit d’être protégé contre toute obstination déraisonnable, ceux qui pensent que le médecin aurait dû procéder depuis longtemps à une euthanasie, conformément à la demande du malade et ceux qui considèrent qu’il faut protéger la vie à tout prix.

Finalement, le médecin décide d’organiser en urgence la réunion collégiale.

 

Analysez cette situation clinique en répondant aux questions suivantes :

Question 1 Identifiez les personnes concernées par la situation clinique. (1,75 pts)

Question 2 A partir des éléments du texte, identifiez et analysez les éléments significatifs pour chacune de ces personnes. (6 pts)

Question 3 Citez les éléments en tension et/ou bloquants à prendre en compte dans cette situation clinique. (1 pt)

Question 4 Concernant la situation :

a. Identifiez et expliquez les concepts (philosophiques ou moraux et/ou juridiques et/ou déontologiques, cf code de déontologie des infirmiers) à prendre en compte dans le processus d’analyse de cette situation clinique. (6,75 pts)
b. Expliquez la ou les propositions qui pourraient être envisagées et argumentez pour chacune d’elle leur pertinence. (2,25 pts)

Question 5 Identifiez et argumentez 2 critères de l’Ethique de la discussion qui illustrent le fonctionnement de votre groupe. (1 pt)

Question 6 Présentation du travail. (Orthographe, syntaxe, vocabulaire professionnel : 0,5 pt) (Bibliographie, sources documentaires : 0,75 pt).

Correction

Question 1  

Le patient, Mr Raspail (0,25 pt)

Les deux enfants de Mr Raspail (0,25 pt)

Le médecin (0,25 pt)

Les deux infirmières (0,25 pt)

L’étudiante infirmière (0,25 pt)

L’aide-soignant (0,25 pt)

Le cadre de santé (0,25 pt)

 

Question 2 

1. Le patient, Monsieur R :

Il est inconscient (0,25 pt), incapable de s’exprimer suite à l’évolution d’un hématome sous dural (0, 5 pt). Il avait exprimé des volontés « …désir de mourir… et …une aide pour mourir … », mais aussi un refus de nommer une personne de confiance (0,25 pt), et d’écrire des directives anticipées (0,25 pt) mais la question du respect de l’autonomie (0,75 pt) se pose compte tenu des pistes médicales non explorées à ce jour. Les pertes de mémoire (0,25 pt), sa souffrance spirituelle ainsi que la perte de l’élan vital (0,25 pt)sont-elles une conséquence de HSD, d’une dépression ou d’une démence débutante ?
IRC dépendante de l’HDC sinon décès (0,5 pt).
Douleurs d’arthroses mal contenues (0,25 pt).
Fracture du poignet droit (0, 25 pt).

2. Les enfants :

Ils sont éloignés (0,25 pt), ils ont fait la demande qu’il n’y ait pas « d’acharnement thérapeutique » (0,25 pt). Si possible et si avenir et réveil, faire préciser à Mr Raspail, la place qu’il souhaite que l’équipe soignante donne à ses enfants.

3. L’équipe médicale :

Elle est dans une logique de soins et de traitements mais ils n’ont pris en compte que le somatique (corps objet) (0,25 pt), et pas le psychique (corps vécu)(0,25 pt), malgré la demande du patient. Un avis psychiatrique est souhaitable (dans l’hypothèse d’un syndrome dépressif à traiter ?).

Manque de communication ? (Entre le médecin et le reste de l’équipe soignante)

4. Les IDE :

Elles se font l’avocate du patient, elles sont dans l’émotion, la subjectivité et prônent le respect de l’autonomie du patient (0,25 pt), manque de connaissance par rapport à l’intervention neurochirurgicale (0,25 pt), représentation de la neurochirurgie (douloureux et peu efficace). Manque de questionnement, manque de professionnalisme (dans le sens d’une insuffisance/manque d’analyse/réflexion éthique : autonomie/ dires du patient et bénéfices/risque) ? (0,25 pt)

5. L’étudiante infirmière :

Elle exprime une valeur : Respect de la vie. Manque de connaissance (amalgame entre limitation des soins et euthanasie) (0,25 pt)

6. L’aide-soignant :

Il exprime une opinion : Droit pour l’euthanasie/ droit de demander de mourir (0,25 pt)

7. Le cadre de santé :

Elle intervient par rapport au service, garante de la qualité des soins et de l’organisation du service.
Gestion des conflits de valeurs.
Connaissance de la loi (procédure collégiale) (0,25 pt)

 

Question 3 

Conflits externes entre différents acteurs du soin travaillant dans une même unité :
– Perte de la cohérence du projet de soin (0,5 pt)
– Conflits internes : valeurs personnelles

Respect de la volonté du patient :
– Dépend de l’autonomie réelle du patient (0,25 pt)
– Pistes médicales à explorer (0,25 pt)

 

Question 4 

a). Une réunion collégiale est organisée au sein du service. (Loi Léonetti Claeys relative à la fin de vie, 02/2016) (0.5 pt)

Les préalables à une réunion collégiale sont :

1. Une évaluation précise de l’état de santé de la personne.

Eléments médicaux :

Le patient présente un hématome sous dural responsable de ses troubles de la conscience (0.25 pt). Il y a une indication chirurgicale d’après l’avis neurochirurgical.

Le drainage de l’hématome permettrait une reprise de la conscience.
Que se passe-t-il si on ne draine pas ? : pas de restauration de l’état de vigilance ?

Avant l’aggravation neurologique, est-ce que le patient était tout à fait autonome ? Est-ce que la demande de mourir était vraiment son souhait ? était- il déprimé (perte de l’élan vital, décès récent de son épouse, avis psychiatrique/efficacité d’un traitement antidépresseur?). (0.5 pt)

Ses propos étaient-ils liés à une altération de ses fonctions supérieures ? (Démence ? description de perte de mémoire).

Il est d’important d’éliminer toute décision arbitraire qui ne serait pas objectivée par des éléments rationnels.

Il était algique en raison de son arthrose. Ces douleurs ne sont pas maîtrisées. On a une obligation de résultats (Art R4311-2-5 alinéa 5 du CSP et le code de déontologie IDE (Art R4312-19). (0.25 pt)

IRC : il est dépendant de la dialyse pour vivre. (0.25 pt)

2. Les Directives Anticipées (article L1111-11 du 02/02/2016 et loi du 04/03/2002) (0.25 pt)

3. La personne de confiance (loi du 04/03/2002) (0.25 pt)

Mr Raspail n’a pas souhaité désigner de personne de confiance ni rédiger de DA. Il met en avant son autonomie face à ses choix et ses prises de décisions. Il a verbalisé auprès de l’équipe soignante (médecin, IDE et AS) sa demande de mourir.

Dans cette situation, le médecin prend la décision de faire un scanner cérébral au patient en situationd’urgence vitale. Dans ce cadre, la loi le permet (Art L1111-4 du CSP, « lorsque la personne est hors d’état d’exprimer ……aucune intervention où investigation ne peut être réalisée, sauf urgence…). (0.5 pt)

Il n’a pas désigné de personne de confiance. Ses 2 enfants, au regard de la loi sont considérés comme sesproches (Art L1111-12 du CSP et code de déontologie médicale : Art R4127-36 du CSP et code déontologie IDE : Art 4312-14) (0.25 pt) et ont transmis à l’équipe leur souhait de « ne pas s’acharner » (obstination déraisonnable : Art 2 L1110-5 du CSP).

C’est le rôle de la délibération collégiale de statuer sur ce point : situation d’obstination déraisonnable ou pas ? (0.5 pt)
L’équipe médicale ne considère pas que le drainage de l’hématome est un soin futile et souhaite réaliser le drainage de l’hématome qu’elle ne considère pas comme relevant de l’obstination déraisonnable.

Principisme (Childress et Beauchamp)
Equité d’accès aux soins (0.25 pt) les plus appropriés à la situation et proportionnalité des soins.
Vérifier que l’on ne prive pas Mr Raspail de ses droits d’accéder aux soins et de ses chances. La question de la vulnérabilité (décrit plus haut dans le questionnement sur son autonomie) (0.5 pt) se pose ainsi que celle de la discrimination (patient inconscient, âgé, insuffisant rénal chronique). Art 4312-11 du code déontologie IDE (non- discrimination) (0.25 pt)

Bienfaisance/ Non malfaisance
Rapport bénéfice/risque : il n’y a pas de risque majeur de complication post drainage HSD compte tenu des résultats statistiques.
Bienfaisance : agir dans l’intérêt du patient (art 4312- 10) : le drainage permettra la reprise de conscience. Ainsi, les explorations et avis complémentaires pourraient confirmer son autonomie (bilan neurologique, bilan psychiatrique).
La non-malfaisance : le drainage de l’HSD entraîne peu de risque (on ne va pas l’encontre de son bien- être en décidant l’intervention). (0.75 pt)

• Risque de conflits externes entre les IDE, le médecin, l’ESI, l’AS

« Le conflit survient lorsque les limites entre l’acceptable et l’inacceptable d’un individu ne coïncide pas avec celle d’un autre (1998, Christophe carré) (0.25 pt)

• Risque de conflits internes : Notion de valeur personnelle (religieuse, culturelle, caractère sacré de la vie). Pour l’ESI la représentation du métier (=sauver des vies/guérir) et du soin peut être incompatible avec la limitation des traitements et des soins. (0.25 pt)

Concept de dignité humaine et de son interprétation qui peut être utilisée de manière ambigüe :
– à la fois pour défendre l’euthanasie (idée de respecter le choix du patient, de garantir une qualité de vie : c’est la position de l’AS. Le législateur français interdit l’euthanasie qui est assimilé à un homicide. Définit par l’Art 221-6 du code pénal. « L’euthanasie est un acte qui consiste à poser intentionnellement un geste dans le but de provoquer la mort d’une personne pour mettre fin à ses souffrances. » + Art R 4127-38 du code de déontologie médical) (0.5 pt)

– et pour défendre la continuité des soins (défendre la vie, donner ses chances au patient : c’est la position des médecins) (0.25 pt)

b) Evacuation / drainage de l’HSD (0,5 pt) :

Urgence vitale dont la prise en charge peut modifier la situation initiale

Si efficace, reprendre les différents éléments de son choix avec le patient :
– Après proposition avis géronte-psychiatrique (0,25 pt)
– Réévaluation du traitement antalgique (0,25 pt)

Non évacuation / non drainage de l’HSD (0,5 pt) :
– Non envisageable car il reste trop d’incertitude quant à son autonomie capacité à faire des choix et prendre des décisions (0,5 pt), il reste des pistes médicales à explorer
– Peu de risques de complications post opératoire = perte de chance (0,25 pt)

 

Question 5 

0,25 pt par critère retenu (x2)

+ 0,25 pt (qualité de l’argumentation d’un critère de fonctionnement du groupe de travail) (x2)

2 critères parmi 8 donnés en cours :
– Symétrie des participants (égalité de la parole de chacun : refus des positions de pouvoir et d’autorité)
– Sincérité des arguments
– Écoute réciproque
– Attitude de responsabilité (ne pas faire ce que l’on refuserait pour soi-même)
– Liberté d’adhérer ou non aux arguments discutés
– Aucune contrainte extérieure possible
– Volonté de construire une argumentation et de rechercher des pistes de décisions
– Le consensus doit être recherché : il ne doit pas être obligatoire ou être atteint à tout prix (cela fausserait le déroulement des débats) / des compromis sont possibles